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MANIFESTATIONS CONTRE UNE SOCIETE MINERE A BANOUASSI : Grande mobilisation des populations à Bogandé

La journée du 20 octobre 2012 aura été très chaude à Bogandé, dans la province de la Gnagna. La raison : plusieurs habitants issus des 7 départements qui constituent la province,  à savoir Pièla, Bilango, Liptougou, Mani, Koala, Thion et Bogandé, ont marché sur le haut commissariat de la province pour manifester leur colère contre la société minière Epsilon Gold Mining Ltd, exploitante du site aurifère de Banouassi.  De notre  modeste carrière de journaliste et de mémoire des Gnagnalais, il faut remonter dans les années 1998, lors des événements de Sapouy, pour voir une telle manifestation.  Une manifestation monstre qui prouve sans doute que  bon nombre de populations de
la province reconnaissent la justesse du problème posé. « Nous sommes désormais prêts à en découdre avec cette société (Ndlr : Epsilon Gold Mining Ltd) qui nous a suffisamment
martyrisés consacrant ainsi la chute du mur de peur dont elle s’est entourée et
qu’elle a longtemps entretenu
 ».  « Celui qui a peur de vivre, n’a plus peur de mourir ». Seule cette citation de Norbert Zongo pourrait qualifier la volonté et la détermination de  ces manifestants,  sortis transmettre un message au haut-commissaire de la province ; dans lequel, ils donnent un ultimatum de 20 jours à la société minière Epsilon Gold Mining pour traduire le site minier.    

 

« C’est avec le cœur empli d’amertume que nous avons décidé en ce jour 20 octobre 2012 de manifester notre ras-le-bol face à une situation qui n’a fait ue trop duré. Ainsi admis, nous, chefs coutumiers de Nalongou et l’ensemble des chefs de village,  qui sont sous notre responsabilité coutumière, le syndicat des mineurs ainsi que l’ensemble des populations du département de Pièla, exprimons sans équivoque, mais en toute légalité notre rejet de la présence de la société Epsilon Gold Mining Ltd dans notre zone ».   C’est en ces termes que les populations de la Gnagna, à travers leur représentant, se sont adressées au haut-commissaire de la province, Sougmésegh Séverin Somé. C’était au cours d’une marche qu’elles ont organisée le 20 octobre dernier.  Une
marche qui a connu la mobilisation de plus de 15 000  personnes venues de tous les départements de la province.  A enjeu exceptionnel, mobilisation exceptionnelle. Difficile de preciser avec exactitude le nombre de manifestants qui, selon les organisateurs, est de plus de 15 mille personnes. 

 

Le film d’une chaude journée dans la Gnagna

20 octobre 2012, il est 8 h 46 mn. Nous sommes à 3 kilomètres de la ville de Bogandé. Là, nous trouvons des personnes reparties en petits groupes.  Après renseignements, nous sommes informés qu’il s’agit des gens venus des villages pour manifester.   Alors nous y restons. A 9 h 53 mn, le lieu se remplit de monde et les ressortissants des villages continuent toujours de venir. 
A 10 h, les manifestants prennent la direction de la ville. Qui sur des motos, qui dans des cars, qui dans  leur véhicule. En tout cas, tous les moyens sont mis à contribution pour faciliter le déplacement de Bogandé.  10 h 23 mn, nous voilà au cœur de Bogandé. La tension monte,  l’ambiance est électrique. 
Les rayons solaires deviennent de plus en plus ardents.  Non pas  pour décourager la foule, mais pour la galvaniser pour une   effervescence indescriptible.  La route nationale N°18 est entièrement
occupée par les manifestants. Pour éviter tout dérapage, les organisateurs rassemblent les marcheurs pour un dernier briefing. Un magnétophone est acheté pour porter le message très haut.  Les consignes sont claires : « Pas de violence, c’est une marche pacifique ».  « Etes-vous d’accord que la société quitte la zone », demande le représentant du président de la section provinciale des orpailleurs artisanaux et traditionnels du Burkina, Ardjima Namoano aux manifestants qui, par des poings levés, donnent leur approbation. Subitement, soit à 10 h 36 mn, les manifestants se dispersent et se retrouvent par petits groupes de nouveau. Nous approchons un organisateur pour lui demander ce qui se passe. « Il n’est pas l’heure. Le rendez-vous avec le haut-commissaire est prévu à 11h 30 mn. Nous allons respecter la loi », informe notre interlocuteur qui profite de l’occasion pour nous présenter l’autorisation de la marche signée par le premier adjoint au maire, Kanlanfé Amadou Lankoandé. A 10 h 57 mn, le tocsin est sonné. Les uns s’alignent derrière les autres sur la RN18. Se dresse ensuite une longue file et c’est le départ pour le haut-commissariat où attendent les autorités provinciales.  Sur les pancartes des manifestants, on pouvait, entre autres, lire, « non, non et non jusqu’à la dernière énergie », « unité et justice à toutes les victimes de la bavure », « toute la Gnagna dit non pour toujours ».  Le chemin, si court, si long pour les organisateurs, obligés de faire face avec des coureurs et non des marcheurs. Toute escalade de la violence est lourde de conséquences.   On ne sait plus qui est qui.  Ce qui est sûr, c’est presque toute la Gnagna qui est sortie, puisque la foule grossit au fur et à mesure qu’elle avance.  La RN 18 est entièrement occupée. La crainte des organisateurs d’un éventuel débordement devient de plus en plus grande. Ce faisant, ils multiplient les appels au calme et à la pondération.
C’est sans compter avec les manifestants qui se déchainent au fur et à mesure qu’ils s’approchent  de leur cible, au du moins de leur destination.
Il faut stopper la marche pour mettre de l’ordre avant de continuer.  Ce faisant, une corde est éroulée pour limiter les champs d’action des manifestants. 
Une corde qui ne tient pas pour  longtemps, puisqu’au tournant pour le haut-commissariat, les manifestants sortent des rangs.  Une barrière humaine est vite formée aux alentours du haut-commissariat et parvient, , heureusement, à contraindre les manifestants à s’arrêter.   Il est 11 h
16 mn précisément quand la foule se  déverse dans la cour du haut-commissariat. Le haut-commissaire accompagné de certaines autorités provinciales,  notamment le commandant de Brigade de la gendarmerie, le directeur provincial de la police et les autorités municipales, y attend
religieusement.  Après quelques échanges avec l’ensemble des manifestants, les responsables du syndicat et les chefs coutumiers se dirigent vers les autorités.   Tour à tour, chaque chef coutumier et chaque responsable dépeint la situation peu reluisante que les populations de la Gnagna
vivent avec la société minière incriminée.   « Aujourd’hui, le soleil brille, mais nous pleurons. Nos larmes sont plus chaudes que ce soleil.  C’est une population qui est mécontente du comportement de la société Epsilon. Quand tu reçois un étranger, il te dit Asalam Leikou  avant que tu l’accueilles,
mais ce monsieur (Ndlr : le responsable de la société) n’a pas dit Asalam Leikou avant d’être reçu auprès des populations. A ce titre, nous ne sommes pas contents de lui
», raconte un conseiller municipal en présence du haut-commissaire.

Même amertume pour un autre conseiller municipal de Koala qui explique les comportements peu
orthodoxes de la société: «  La société Epsilon Gold Mining Ltd nous laisse creuser  jusqu’à ce que nous trouvions de  l’or et elle  vient nous le retirer. En plus de cela, la société nous maltraite, et
souvent, on enregistre des pertes en vies humaines sans qu’il n’y ait justice 
».  Ces témoignages des uns et des autres sont suivis de cris et d’applaudissements des manifestants  qui démontrent ainsi le mécontentement général au sein de la population de la Gnagna face à l’exploitant de la mine d’or du village de Banouassi.  Dans la foule, une femme de plus d’une soixantaine d’années, qui n’arrive plus à se contenir,  réclame la parole qui lui est aussitôt donnée.
Sans trop de commentaires, Nadiéba Tiabondou dénonce : « Je prends la parole pour exprimer mon
mécontentement,  car j’ai jusqu’à 4 enfants qui ont été torturés jusqu’à trépas au niveau du site.  Aujourd’hui, je peux dire que tout ce monde m’a accompagné ici pour pleurer mes enfants 
». Ces témoignages, ces explications et ces révélations sont  attentivement suivis par le premier responsable de la province qui a reçu la plate forme revendicative des populations.  Dans le message, les manifestants lancent un ultimatum de 20 jours à la société pour quitter le site, faute de quoi, ils mèneront d’autres actions plus vigoureuses pour se faire entendre. Une mise en garde qui ne donne autre choix au haut-commissaire que de se pencher sérieusement sur la question.  « Dès lundi, j’informerai le gouverneur de la région de l’Est d’où, je relève,  de ce que j’ai pu observer aujourd’hui (Ndlr : le 20 octobre dernier). Je dirai la vérité de ce que j’ai vu et de ce que j’ai entendu. Je mettrai toutes les chances de mon côté pour transmettre le document après analyse comme les manifestants l’ont souhaité », a promis Sougmésegh Séverin Somé qui dit reconnaitre que  le message que les populations de la Gnagna  lui ont remis afin qu’il le remette à qui de droit, leur tient à cœur.  De ce fait, il promet de faire tout ce qui est à son possible pour que des solutions soient trouvées.   Par ailleurs, le haut-commissaire félicite les organisateurs pour la réussite de la marche. « La passivité  avec laquelle nous avons constaté le mouvement nous réjouit davantage », a-t-il souligné.  Se prononçant contre l’ultimatum lancé par les manifestants, le haut-commissaire dit n’avoir rien contre un ultimatum. Mais,  a-t-il indiqué, « c’est un délai que vous trouvez avantageux pour vous, mais il se peut que le gouvernement adopte une démarche qui l’amène à réunir toutes les personnes ressources nécessaires pour régler une question aussi cruciale comme celle-ci pour qu’elle n’émerge plus jamais quelque part sur le territoire national.  Gardez le calme parce qu’il n’y a jamais de problème sans solutions ».  Ce calme demandé par Sougmésegh Séverin Somé sera-t-il observé ? Rien n’est moins sûr, à en croire  les manifestants qui ne veulent plus voir la société Epsilon Gold Mining Ltd.  Alors pourquoi cette désaffection entre les populations de  la Gnagna et la société ? Qu’est ce qui a pu bien plaider pour un climat aussi délétère ?

 

Les raisons d’une crise profonde

En rappel, c’est dans les années 2006 que l’opérateur aurifère Epsilon Gold Mining Ltd a planté sa tente dans la commune rurale de Pièla, notamment dans le village de Banouassi.  Dans le cadre de sa première concession, se souviennent les populations, la société était attributaire de 100 hectares.
Contre toute attente, Epsilon Gold Mining Ltd allait au-delà de la zone qui lui avait été légalement octroyée. Et pendant ce temps, disent les responsables du village,  « la société n’a prévu ni dédommagement pour les éventuels riverains, ni aucune action sociale du genre,  écoles, dispensaires, maternités, puits». Comme cela ne suffisait pas, renchérissent les responsables du syndicat, « la société a commencé à poser des actes violents sur les populations pour engranger le maximum de profits, outrepassant au passage, ses droits et violant ainsi, les segments des valeurs morales et sociales qui font le fondement de la vie communautaire ».  A titre d’exemple, les populations citent entre autres,  « l’administration de coups et blessures sur de prétendus fraudeurs, des enchainements, des arrestations sans procès ».  Aussi, poursuivent-ils, « les violations de domiciles privés suivies de dépossessions des victimes de leurs biens, soit matériels ou financiers sont monnaies courantes. Des opérations de police qui conduisaient à des retraits de vélos et  de motos moyennant paiement de sommes qui variaient de dix mille à vingt cinq mille francs. Les femmes et les enfants ont également eu pour leur garde ainsi que les animaux, gros comme petits ruminants, puisqu’ils étaient tués en masse sans autre forme de procès ».  En étayant ces faits, les populations indiquent que sur un total de 11 bœufs morts, le premier responsable de la société, Bachirou Zango, n’a versé aux propriétaires que 130 mille francs.   Elles accusent la société d’être responsable de la mort, en juillet 2010, de Djénéba Maïga, élève de 13 ans, morte noyée dans les fosses creusées par la société et sans signalisation. La fausse couche d’une femme du village de Korongou suite à l’inhalation de gaz par des vigiles de la société, la mort de Doboua Tiabondou suite à une bavure policière sur le site sont aussi, entre autres, les griefs faits à la société.

Ces exactions et humiliations que subissent les populations de la province les ont conduites à protester violemment. Ainsi, les journées des 5 et 7 avril 2011 auront été très infernales à Banouassi. Conséquence : destruction tous azimuts des installations et matériels logistiques de la société.  Des personnes, au nombre  de 20, furent interpellées et détenues à la Maison d’arrêt et de correction de Fada N’Gourma. Un des détenus, notamment le conseiller CDP du village de Gori, Dapamma Tiabondou, y trouvera la mort.

Cette situation a poussé les autorités coutumières et les responsables syndicaux de la province à adresser une lettre au ministre des Mines, des Carrières et de l’Energie, le 5 août 2012 lui demandant de « retirer le permis d’exploitation et de recherche à la société  Epsilon Gold Mining Ltd et la réattribution à une autre société la concession d’exploitation ».

Une demande qui ne semble pas avoir abouti puisque le 3 avril 2012 au petit matin, la société Epsilon Gold Mining Ltd,  accompagnée de quelques éléments de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) a signé son retour de manière triomphale, selon les habitants du village.  Un retour que récusent les populations dans leur ensemble. Leur détermination à obliger l’Etat à retirer le permis d’exploitation ne souffre d’aucun doute.  Pire, certains rejettent tous conciliabules avec la société. « Ce n’est plus une question matérielle, c’est
une question morale que la société ne peut plus réparer
 », a laissé entendre un habitant pour qui, quelles que soient les propositions faites par la société, les habitants s’opposeront à sa présence.

 

Epsilon Gold Mining Ltd : une poudrière ?

Avec les témoignages des uns et des autres, faut-il convenir que la société Epsilon Gold Mining Ltd est devenue une poudrière pour les habitants de la province de la Gnagna. Tout porte, en effet, à le croire. Ou du moins, en attendant que la société nous apporte la preuve du contraire. Jamais, une société minière n’a pu s’attirer de la sorte la haine de toute une localité. Le 20 octobre 2012, très tôt dans la matinée, nous nous sommes rendus sur le site, histoire de recueillir les avis des responsables de la société sur les accusations portées contre eux. A 7 h 9 mn, lorsque nous arrivions sur le site, nous avons trouvé les éléments de la CRS en train d’affûter leurs armes. A peine si nous sommes descendus de notre véhicule que deux policiers ont accouru vers nous en nous demandant l’objet de notre présence. « Prenez position là-bas en attendant qu’on informe notre chef », nous dit un policier. Quand nous avons expliqué l’objet de notre visite au chef des éléments CRS, celui-ci a fait venir le responsable du site, Salif Ouédraogo.  Ce dernier se refuse à tout commentaire en nous renvoyant à Ouaga où, dit-il, nous pouvons avoir des informations que nous voulons. « Je ne suis pas autorisé à parler à des journalistes », a-t-il souligné pour conclure notre bref entretien.  Curieusement, le responsable du site a le pouvoir de donner des ordres aux vigiles pour battre les habitants, mais il n’a pas ce pouvoir de s’entretenir avec des journalistes. Enfin, si ce n’est pour corroborer tout ce que les habitants disent !

 

Par Yaya Issouf MIDJA



25/10/2012
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