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Interview


DR ABDOULAYE HASSANE DIALLO, ANCIEN CONSEILLER DE MAMADOU TANDJA « Au Niger, nous avons été victimes d’un coup d’Etat parce que nous avons voulu prendre encore 3 ans »

Journaliste et écrivain, il aura été conseiller en communication de l’ancien président nigérien, Mamadou Tandja jusqu’au coup d’Etat de février 2009. Dr Abdoulaye Hassane Diallo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est fils d’ancien combattant. Après ses études primaires, le natif de Téra –petit village nigérien- a fait l’école militaire de Kati (Mali) avant d’être affecté à l’armée nigérienne, dès la création de celle-ci. Initiateur du journal de l’armée nigérienne ″Bérets verts″, il a poursuivi sa formation militaire en Israël, avant de s’envoler pour l’école supérieure de journalisme en France, d’où il est sorti, avec en poche, deux diplômes, puis un DEA et un doctorat en sciences politiques. Chargé de mission du Premier ministre de la Transition, Dr Abdoulaye Hassane Diallo a été appelé par le président Mamadou Tandja pour être son conseiller en communication. C’est cet homme averti et fervent défenseur de l’Afrique que nous avons rencontré, le 14  mars 2014, à son domicile sis à la Trame d’accueil de Ouaga 2 000. Avec lui, nous avons abordé plusieurs sujets d’intérêt certain : les difficultés liées à l’édition en Afrique, les difficultés des journalistes africains,   la guerre froide entre la présidence et l’hémicycle nigériens, son parti politique, la prochaine présidentielle nigérienne, les raisons de la chute de Mamadou Tandja, la situation politique au Burkina, la question de la modification de l’article 37, ses conseils pour une sortie de crise au Burkina, Blaise Compaoré et l’opposition… Lisez plutôt !

 

Le Quotidien : En tant qu’écrivain, pouvez-vous nous dire comment vous vous y prenez pour écrire avec toutes les charges qui sont les vôtres ?

Dr Abdoulaye Hassane Diallo : En Afrique profonde, on écrivait et on lisait avec des lampes-tempêtes. J’ai pu écrire parce que je me disais que c’était un devoir. C’est vrai qu’écrire est très difficile. C’est pourquoi, dans ma thèse, j’ai dit qu’il fallait créer un prix littéraire panafricain parce beaucoup d’Africains écrivent de bonnes choses. Mais malheureusement, ils   n’ont pas les moyens pour les faire publier. J’ai dû me battre pour écrire. Mais, ça n’a pas été facile parce que j’avais aussi mes fonctions de conseiller qui m’amenaient à beaucoup voyager. J’ai dû me battre comme tous les Africains. C’est pourquoi, j’ai toujours dit que quand on voit un livre, il faut toujours l’honorer. En tant que journaliste, quand je vois nos écrits qu’on déchire pour vendre de la viande ou des galettes, ça me fait très mal. Ecrire est une gymnastique très difficile d’autant plus que les gens ne lisent pas en Afrique. Les gens veulent s’informer, mais n’ont pas les moyens.

C’est plus facile pour vous. Sinon en Afrique, il est de plus en plus difficile de faire carrière dans l’écriture du fait des problèmes d’édition. De nombreux projets meurent ainsi dans les tiroirs…

Le problème est que les gens ont beaucoup de préoccupations. Lorsqu’on a 500 F CFA, au lieu d’aller acheter un stylo, on préfère acheter un plat de haricot parce qu’on en a plus besoin. Il y a aussi qu’il n’y a plus de solidarité dans le monde. Les gens ne partagent plus comme avant. Quelle est la valeur d’un Etat qui n’a pas de monnaie ou d’écriture? Il n’y a pas de valeur. Le monde d’aujourd’hui est une véritable jungle. C’est du chacun pour soi. C’est pourquoi, il y a des personnes qui n’ont pas de quoi manger le matin. Il y a aussi l’égoïsme du monde parce que les ¾ des richesses sont détenus par le tiers de l’humanité et le quart restant se retrouve avec les  2/3 de l’humanité.

En tant que journaliste, écrivain, politicien basé en Europe et fondateur d’un journal nigérien, y a-t-il une différenciation entre le journalisme pratiqué en Europe et celui pratiqué en Afrique ?

La différence se trouve au niveau de la technicité. Les Gutenberg ont créé l’imprimerie. En Europe, ils ont plus de facilités et plus de moyens. Le problème des journalistes africains ce n’est pas l’écriture des articles. Mais, c’est d’être embauchés et avoir un patron. Or, le patron est le chef de sa ligne éditoriale. Si je suis domestique chez quelqu’un et que chaque matin il me dit de prendre un seau et que je prends un autre, il va me chasser. Celui qui te paie et qui paie les condiments de chez toi, est le patron de chez toi. Donc, tu n’as plus de maison, ni de responsabilité. Tu as du monde chez toi, mais ce monde ne t’appartient pas. Voilà la raison. Sinon, les Africains écrivent bien, très bien même. Mais, nous avons malheureusement une presse dans laquelle les gens se lancent sans savoir ce qu’elle est. Quand nous étions à l’école, on nous demandait de nous jeter à la piscine. Car, même pour assassiner, il faut avoir des règles. Parce qu’un charcutier n’est pas un chirurgien. Pour faire du journalisme, il y a des techniques et des règles, l’école, les diplômes, et même si on n’a pas les diplômes, il y a l’expérience. Je dis toujours à mes journalistes, en commençant par moi-même, ne disons jamais ce qu’on n’a pas entendu, n’écrivons jamais ce que nous n’avons pas vu. Si vous avez tué ou volé quelqu’un, il faut d’abord que j’aie les preuves avant d’écrire. Etre grammairien et être journaliste, ce n’est pas pareil.

Le grammairien est celui qui corrige nos fautes. Un journaliste a ses techniques. Je vois que chaque fois, on interpelle des journalistes. Il faut chercher à comprendre, aller à la source. Ce n’est pas honteux. Quand on ne connait pas, on va apprendre. Mon journal a eu un prix parce que je n’attaque pas les gens et je ne mens pas sur les gens. Je ne pars pas prendre 150 000 F CFA pour écrire un article contre quelqu’un et l’insulter pour un autre. Il faut donc faire attention. J’en profite pour dire aux journalistes de faire très attention. C’est une très belle profession, mais très dangereuse, qui demande des connaissances, de la déontologie. Même pour le pouvoir, il faut des qualités pour gouverner…

Vous semblez assez passionné par le débat journalistique. Justement, des journalistes sont violentés, emprisonnés presque tous les jours pour leurs opinions ou leurs écrits. La liberté d’expression n’est malheureusement pas une réalité en Afrique.

Avant la liberté d’expression, il y a la liberté tout court.  La première des choses est de maîtriser ses outils et être sûr de ce qu’on écrit et de ce qu’on dit. Il faut l’entente. Si les journalistes s’entendaient, on pourrait mettre ceux qui se trompent au pas parce que tout le monde peut se tromper. Il faut éviter d’aller là où on ne doit pas aller. Quand on vous accuse d’avoir fait quelque chose, il faut opposer les arguments. Les gens ne soutiennent que par intérêt. Aujourd’hui, le type vous donne l’argent pour écrire la vérité. Et demain, il vous dit qu’il n’a jamais rien dit…

Sans vous interrompre, qu’en est-il de ceux qu’on emprisonne pour des propos, articles véridiques et vérifiables ?

Dans ce cas, je condamne celui qui les condamne. De toutes les façons, la vérité ne peut être cachée. Je compatis chaque fois que quelqu’un est en danger parce que je n’aimerais pas que cela m’arrive. Le journalisme est le 4e pouvoir. Et les contraires s’attirent. Les hommes politiques ne sont rien sans les journalistes. Et les journalistes ne sont rien sans les hommes politiques. Ce sont des loups et des agneaux qui se côtoient. Le plus souvent dans nos Etats, tant que vous ne faites pas  le clairon du pouvoir, vous n’avez pas droit au chapitre. Ce qui arrive, c’est que dès que Jeune Afrique écrit, on pense que c’est la vérité absolue. Mais, Jeune Afrique peut aussi se tromper (il fait allusion à l’article selon lequel le Niger aurait perçu 20 millions de dollars pour l’extradition du fils de Kadhafi). On respecte Jeune Afrique, c’est une grande maison. Mais, ce qu’ils disent peut ne pas être vrai. C’est toujours RFI (Radio France international, ndlr) qui dit ce qui se passe sous nos lits, pendant que nos journalistes regardent ailleurs. Donc, tant que le type a raison, je condamne celui qui le condamne. Au Niger par exemple, le président a signé un document disant qu’on n’emprisonnera plus de journalistes. Maintenant, j’ai appris que le Niger veut porter plainte contre Jeune Afrique. C’est de bonne guerre. Le président nigérien est souverain dans son pays. C’est la même chose que j’ai dite quand on m’a annoncé que le président Compaoré ira à la francophonie.  C’est d’abord l’affaire du président du Faso et des Burkinabè qui l’ont élu avant de devenir une affaire panafricaine.

 

DSC_2679.JPGDr Abdoulaye Hassane Diallo, écrivain, journaliste,

politicien nigérien et ancien conseiller du président Mamadou Tandja

Que faire pour que la liberté de presse soit une réalité dans nos pays ?

Chez nous, il y a le Conseil supérieur de la communication qui regroupe tous les médias et qui est le baromètre qui suit ce que font les journalistes. On a également la maison de la presse et l’ONEMED Mais, le vrai journalisme doit commencer par nous-mêmes. La prison est créée pour que les gens  y entrent. Dieu n’aurait pas créé l’enfer s’il savait que ce serait vide. Les gens doivent aller en prison. Mais, il faut que ce soit avec raison parce que ce n’est souhaitable à personne. La solution est individuelle. C’est un métier qui est, certes dangereux, mais noble. Mais, il y  a des choses sensibles auxquelles il ne faut pas toucher. Si je dis que le président a fait ceci ou cela, je touche à sa dignité, son honneur. Comme je l’ai dit, si la démocratie stagne chez nous, c’est de notre faute.

En tant que citoyen et politicien nigérien, comment vivez-vous la guerre froide entre le président nigérien et celui de l’Assemblée nationale ?

Je réponds en tant que simple citoyen. Mais également en tant qu’acteur politique et journaliste. Chaque jour que Dieu fait, j’ai toutes les informations sur internet. Dans l’un de mes articles, j’avais dit que Hama Amadou a fait la même chose que Issoufou a faite à Mahamane Ousmane. Vous pourrez le voir dans mon livre « La Politique en dents de scie ». Quand nous sommes venus à la conférence nationale, le MNSD était le seul parti politique dans lequel tous étaient. C’était le parti-Etat comme le RDA en son temps. Mahamadou Issoufou et Mahamane Ousmane étaient dans le  même parti. Ensuite, il a quitté le parti pour créer son propre parti, l’ANDP. A la conférence nationale, Hama qui était le chef du MNSD et les autres ont pris les coups. Ils ont été laminés pour faire disparaitre la pensée unique. Nous étions parmi ces gens. Mahamane Ousmane, Mahamadou Issoufou  et un autre ont donc créé leur parti politique et se sont battus. Puis, ils se sont partagés les postes. L’un était président, l’autre Premier ministre et le 3e, président de l’Assemblée nationale. Ils se sont tiraillés jusqu’au coup d’Etat. Après, aux dernières élections, Hama a rejoint le MNSD pour faire une alliance avec Issoufou. Puis, les élections remportées, Issoufou est devenu président et lui président de l’Assemblée nationale. Ensuite, Hama a retiré ses ministres du gouvernement. A tort ou à raison, je ne sais pas. Il a déclaré que le président n’a pas tenu sa promesse parce qu’on devait faire un gouvernement d’union nationale. Il a ensuite quitté la majorité pour rejoindre l’opposition.

Dans la vie, on se bagarre tous les jours. Mais, c’est le chef qui est le responsable quand ça dégringole. Le président Issoufou a été élu démocratiquement pour un mandat de 5 ans et personne ne peut le nier. C’est pareil pour le président de l’Assemblée nationale, Hama. Donc, les deux doivent mettre de l’eau dans leur vin pour terminer les deux ans qui leur restent. Car au Niger, nombreux sont les gens qui mettent le feu. Je suis Africain et Nigérien. J’ai mal quand à chaque fin de mandat, il y a un coup d’Etat. Depuis la conférence nationale, il n’y a pas eu de passation entre un président élu et son prédécesseur. C’est toujours entre un militaire et un civil. Ça suffit ! Qu’ils ménagent leur monture pour le Niger et pour eux-mêmes parce que s’ils se chamaillent ainsi, c’est tout le pays qui perd, eux y compris.

Etes-vous optimiste quant à une issue heureuse ?

Je suis optimiste. Car, comme je l’ai dit, ces deux-là savent ce qu’ils font. Ils savent qu’ils ont un mandat à finir et jusqu’où se trouve la ligne rouge. Ils ne sont pas idiots. Car, s’il y a un problème demain, ils seront recherchés. Ce sont de grands politiciens et ils ont de l’expérience.

De quelle obédience est votre parti politique ?

Je suis membre fondateur, conseiller en communication et chargé des relations extérieures du parti qui s’appelle modèle maikata. Nous sommes de la majorité. Nous avons quitté l’opposition pour des histoires internes que je ne veux pas déballer ici. Nous nous sommes dit qu’au lieu de trainer tout seuls, nous allions créer notre parti politique. Nous avons créé notre parti et nous avons fait notre congrès auquel tous les partis politiques sont venus assister. Chaque fois que la majorité se réunit, nous venons dire notre mot. Le président de notre parti est même conseiller du Premier ministre. Tout ce que nous voulons, c’est que le Niger aille mieux, qu’il continue à tirer profit de ses richesses. Qu’il y ait la stabilité, le calme et que notre parti bouge pour que les jeunes du parti puissent trouver quelque chose. Car, aujourd’hui c’est la jeunesse qui est le problème de toute société. Il y a certains problèmes qu’il faut régler avec intelligence, lucidité et calme.

Les élections présidentielle et législatives auront lieu dans 2 ans. Quelles sont les ambitions de votre parti ? Avez-vous déjà mis en place une stratégie pour rafler le maximum de députés, voire accéder à la magistrature suprême ?

Le président de notre parti politique est un homme averti qui connait bien la politique. Il a beaucoup d’expérience pour avoir occupé de hautes fonctions. Ceux qui sont membres du parti ont aussi de l’expérience. Nous avons nos structures dans tout le Niger. Les femmes de  notre parti sont secrétaires générales un peu partout dans les régions. Nous avons la jeunesse. Nous allons nous battre avec nos convictions et nos idées. Mais surtout, nous allons faire en sorte que les Nigériens nous comprennent,  lors des prochaines élections. Nous sommes un petit parti qui vient de naître et nous n’avons pas beaucoup de moyens. Or, maintenant quand vous n’avez pas de quoi donner à quelqu’un pour qu’il s’achète une galette, il ne vous écoute pas. Mais, j’ai confiance. Je sais qu’il y a des Nigériens qui intègrent des partis politiques par conviction et non parce qu’ils veulent quelque chose. Je crois que nous irons aux élections sereins car, nous aurons notre part. Cela, que nous soyons battus ou pas. De toutes les façons, nous pensons qu’on fera de nous le meilleur choix et nous ferons le meilleur choix quand il s’agira de faire des alliances.

Vous avez été le conseiller de Tandja. Avez-vous senti à un moment donné que le peuple était contre une prolongation de son mandat ?

Le peuple est un bétail électoral. Le peuple c’est quoi ? Mais, écoutez, qui est le peuple ? Quand je vais dans un village, je pars saluer le prêtre et l’imam, le chef du village et le maire. Le peuple leur appartient et ce sont eux qui convoquent les gens pour leur dire de venir écouter. Et ce sont eux qui viennent voir Tandja pour lui dire que ce qu’il est en train de faire est une bonne chose. Même les militaires ont voté pour la modification de la constitution avant de nous renverser. Je dis que les constitutions ne valent que ce que valent les gens. Il y a des gens qui ont fait 40 ans, 50 ans de pouvoir. Mais, on n’a jamais dit qu’ils ont violé leur constitution. Je pense quelque part qu’il y a certains qui ont de la chance et d’autres sont malchanceux. Alors que Tandja est le seul président nigérien qui a terminé deux mandats légaux. Aucun président n’a terminé un mandat légal.

Qu’avez-vous alors à répondre à ceux qui disent que ce sont ses conseillers qui ont conduit Tandja à sa perte ?

J’ai l’habitude de dire aux gens de faire attention. J’ai l’habitude de dire aux gens que j’ai connu la présidence il y a 18 ans. J’ai pris l’avion à 16 ans. J’ai eu plusieurs voitures en France. A chaque enfant qui nait j’achète une et je jette. J’ai dit que je suis venu apporter et non pour chercher. J’ai dit au président Tandja, parce que c’était la 3e ou la 4e fois qu’il me faisait appel, voilà mon cahier des charges. J’ai dit qu’il fallait que chacun fasse son boulot. Donc, si vous voulez dire au président de vous faire un petit plaisir, nous sommes tous des êtres humains et tous sensibles. Même si les conseillers le disent, le président connait mieux le pays qu’eux. C’est clair. Le conseiller qui me dit de brûler mes habits, est-ce que je le ferai ? Maintenant, s’il me dit que je suis gnangnan, je vais lui dire merci.  Sauf qu’avec les affaires de l’Etat, on ne blague pas. Tout ce que j’ai à dire, c’est de laisser le temps au temps. Vous êtes Burkinabè et vous savez bien ce que vous voulez faire. Le président du Faso sait très bien ce qu’il va faire. Et l’histoire me donnera raison parce que personne ne sait ce que pense le président. Et je suis sûr que même s’il le dit aux autres, il y a des choses qu’il ne dit pas. Comme les autres aussi ont des choses qu’ils ne lui diront pas. Les conseillers sont tous sensibles. Il y en a qu’on détourne entre deux couloirs. Il y  en a d’autres à qui on met des choses dans la tête. Mais, à l’heure de la vérité, on verra bien.

La situation politique au Burkina est marquée par le mandat du président qui prend normalement fin en 2015. L’opposition politique s’oppose aux velléités de modification de l’article 37 de la Constitution relatif à la limitation des mandats présidentiels. Pour avoir vécu une situation semblable, il y a quelques années, quel est votre commentaire ?

Chaque pays mérite le président qu’il a. Ce sont les Burkinabè qui élisent leur président et qui peuvent le faire partir tout comme le retenir. C’est une cuisine interne. Tout ce que je sais, c’est que le Burkina est dans mon cœur parce que c’est chez moi. C’est un pays africain et j’appartiens à toute l’Afrique. Je sais que s’il y a le calme et la paix au Burkina, nous l’aurons aussi au Niger.

Au Niger, nous avons été victimes d’un coup d’Etat, tout simplement parce que nous avons voulu prendre encore trois ans. Mais aujourd’hui, l’histoire est en train de nous donner en partie raison. Maintenant, les pouvoirs qui se succèdent, c’est au gré des humeurs du moment et en fonction des situations. Pour le cas du président Tandja, les gens ne comprennent pas les raisons pour lesquelles il a voulu faire les 3 ans. En réalité, il  a initié la tournée du 18 décembre dans les régions. Chaque année, il faisait une enveloppe pour bien organiser la région. Or, le Niger a 8 régions. 5 régions en ont bénéficié et les 3 autres n’en n’ont pas bénéficié. C’est ainsi que des gens sont venus lui dire de ne pas partir parce que s’il part, leurs régions n’auront pas leur tour. Le président Tandja a donc fait le tour du Niger et posé une question par référendum. Et le référendum lui a dit de rester. C’est en cela que des gens sont venus mettre fin à son pouvoir. Les gens qui l’ont fait sont des Nigériens et ils ont leurs raisons. Le président Tandja avait aussi ses raisons. Mais, il y a des choses qu’on ne dit pas dans la vie. J’ai vu dans Jeune Afrique et à travers les bruits qui courent que le président (Blaise Compaoré, ndlr) veut partir à la Francophonie. J’ai toujours dit que je souhaite voir un africain qui a gouverné son pays continuer plus haut pour pouvoir nous tirer et nous aider.

Maintenant, ce problème de l’article 37 doit concerner les Burkinabè, leurs représentants qui sont les députés et le président de la République. Vous allez tirer vos conclusions et voir de quel côté les choses vont aller. Que les choses aillent seulement dans l’intérêt du peuple. Mais, je crois que lorsqu’on est un chef d’Etat, quelle que soit la volonté de rester au pouvoir, on a peut-être d’autres raisons. Les chefs d’Etat font toujours des programmes et ces programmes ne finissent jamais.

Comme on le dit chez nous, celui qui veut monter sur l’hyène, c’est son affaire parce que l’hyène peut le manger. Donc, je dis de laisser le temps au temps. Il lui reste encore un an. Il  faut le laisser continuer à travailler. Ce que je veux, c’est que les gens continuent à s’entendre. J’ai vu que des gens ont quitté le parti. C’est bien. Mais, quand votre femme vous quitte un matin après avoir passé 40 ans avec vous,  dès qu’un autre mari la voit, il dit qu’elle était avec untel il y a 40 ans et que c’est difficile de la garder. Il peut la garder, cela veut dire que personne n’a confiance en elle. La politique en Afrique, c’est comme ça. Ce sont les mêmes. Dans tous les pays, les peuples ont des problèmes avec leurs dirigeants tout simplement parce que le temps qu’ils font dérange le monde. L’homme ne veut pas quelque chose qui s’allonge. Mais, c’est aussi de bonne guerre puisque c’est le peuple qui élit les gens. Moi, je dis aux Burkinabè de réfléchir comme ils le font, parce qu’ils ne sont pas bêtes. Le président sait aussi ce qu’il fait. Il sait pourquoi il est là et comment et quand il va partir.

Au niveau de vous, les journalistes, essayez de faire en sorte qu’on n’enflamme pas trop les choses. Il faut qu’on laisse les hommes politiques discuter entre eux. La force des arguments est parfois plus forte que les fusils. Le Burkina est un pays qui a une grande expérience, une grande richesse. Le président Compaoré sait ce qui s’est passé dans ce pays. Il sait quel pays il gouverne et il connait mieux les Burkinabè. Tout est dans les idées, dans la réflexion. Tout ce qu’on tire risque de se casser. Or, si ça casse, ce n’est bon pour personne. Dieu a donné l’intelligence aux hommes pour trouver des solutions. Tous les Burkinabè et tous les Nigériens quels que soient leurs partis politiques, leurs sensibilités, leur appartenance à ceci ou à cela, nous avons quelque chose en commun. Il faut aussi attendre de voir le président. Peut-être qu’il attend que le moment arrive. Mais, il y a des gens qui sont pressés. C’est ce que je disais tout à l’heure. Si vous prenez un président que vous mettez dans une maison pour 5 ans, mais qu’au bout d’un an vous commencez à taper à sa porte pour lui dire de sortir, il ne le fera pas. Mais, quand il fait 5 ans, le temps qu’il sorte pour se présenter vous avez des bâtons dehors. Mais, je dis toujours aux journalistes de faire attention parce que le pouvoir est très fort. Il a la légitimité. On a eu trop de martyrs en Afrique et on ne veut plus en rajouter. Tout ce qu’on veut, c’est la paix.

La situation qui prévaut au Burkina est semblable à celle qui a prévalu au Niger sous Tandja. Quels sont vos conseils pour éviter une crise ?

Mes conseils sont de dire à chacun d’assumer. Il y aura un président dans quelques années. Il sortira parmi les Burkinabè. Quand on me demandait ce que pensait le président, je répondais toujours que je ne suis pas dans sa tête. Car, on peut emprisonner quelqu’un mais pas sa pensée. Dieu seul sait ce qui se passe dans sa tête. Je suis allé plusieurs fois à Paris avec un ministre pour expliquer pourquoi le président Tandja voulait faire 3 ans de plus.  Et le président m’a dit une fois : « Vous voyez, j’ai des conseillers. Mais à la fin, c’est moi qui décide ». Et c’est vrai parce que si un conseiller dit au président de couper ses oreilles, il ne le fera pas…

Pour avoir été conseiller de Tandja dont la fin de pouvoir est devenue un cas d’école, quels conseils donneriez-vous si vous étiez l’un des conseillers du président du Faso ?

En chaque être, il y a le diable et le saint. Chaque partie se manifeste et chaque être réfléchit. Je n’ai pratiquement pas de conseils à donner, sauf que chaque être observe les événements parce que chaque jour qui passe est une école. On voit des choses, on entend des choses, on fait des choses. Il faut en tirer leçon parce que c’est très important. Et quand on est un chef d‘Etat, c’est toujours l’intérêt du peuple qui doit passer avant l’intérêt personnel.

Nous sommes sur un continent marqué par de nombreuses crises. Vous qui avez défendu l’Afrique et ses valeurs sur plusieurs tribunes en Afrique et en Occident, comment vivez-vous ces situations ?

Comme tous les Africains, j’ai mal. Mais quelque part, nous n’avons pas pris nos responsabilités. Le jour où les colons sont partis et qu’ils ont donné la clef de la voiture de la présidence, le drapeau, le château, nous devrions assumer. J’ai dit un jour à Tripoli que je préfère la Libye aux Etats Unis. Ce n’est pas parce que je n’aime pas les Etats Unis car j’ai même des parents là-bas. Mais, comme l’a dit Jean Marie Le Pen, mes filles avant mes cousines. Quand tu meurs, c’est à ton voisin qu’on demande ce que tu fais. C’est aussi la première personne qui prend ton bonheur, tes souffrances, tes coups… C’est pourquoi j’avais dit que si la Libye brûle, le Niger brûle et vice versa. On nous a eus, on nous a colonisés, on nous a divisés. Mais, quelque part, il y a notre faute. Si on vient me dire voilà un bâton pour frapper un Burkinabè. Si je le frappe et qu’il meurt, demain on viendra donner un bâton à un Congolais pour me tuer. Donc, je dois refuser le bâton qu’on me donne. On aurait dû être responsable. Les djihadistes dont on parle, c’est parce que la Libye est déstabilisée aujourd’hui. Si on vient bombarder le Burkina, tous nos pays vont être en feu. On nous a divisés pour régner et nous avons aussi accepté. Si tous les présidents se tiennent la main dans la main, ce n’est pas un Sarkozy qui viendra bombarder l’Afrique. On ne peut pas dormir si son voisin n’a pas la paix. C’est ça l’unité africaine. Les Français ont fait la guerre de 100 ans avec les Anglais. Ils se sont cognés avec les Allemands. Aujourd’hui, ils se serrent la main parce qu’ils partagent quelque chose. Mais nous, on passe notre temps à dire lui c’est un Congolais, l’autre est Nigérien… C’est ainsi qu’on nous a eus. La force, ce n’est pas les armes, mais la conviction. Si les Nkrumah, les Yaméogo, les Ouezzin Coulibaly, les Modibo, les Jomo Kenyatta, les Diori  vivaient encore, ils iraient se coucher à Tripoli et dire à Sarkozy de venir bombarder. Il n’oserait jamais le faire. Quand on arrête un Français, même à l’autre bout du monde, tout le monde se lève, même au niveau du parti communiste pour le réclamer. C’est quand il vient au pays qu’on dit qu’il est communiste.

Que proposez-vous alors ?

Nous voulons que les Africains sachent que nous partageons les mêmes valeurs, la même culture, la même histoire, le même espace et les problèmes. Pour surmonter tout cela, il faut qu’on s’entende, qu’on se donne la main, qu’on dépasse les frontières, qu’on partage, qu’on soit solidaire, qu’on travaille et qu’on montre qu’on est un peuple intelligent. C’est la division qui nous apporte tous ces problèmes. Le Niger, le Tchad, le Burkina, nous avons tous une communauté de destin. Nous devons nous asseoir pour mettre nos intérêts en avant, bien organiser nos Etats. Car, les erreurs servent à se corriger. Mais, quand on dort sur la natte de l’autre comme l’a dit Ki-Zerbo, on n’a pas de natte. Il faut défendre son pré-carré qui est notre pays, notre continent dont nous sommes fiers. L’Afrique appartient à tous les Africains. Il faut travailler à ce qu’on ait un jour une monnaie unique et que ce ne soit plus seulement la CEDEAO, la CEMAC, un passeport panafricain, une identité panafricaine, des jeux panafricains, un prix littéraire panafricain et nous en avons les moyens. Car, ce sont nos richesses qui sont en Europe. Les Africains sont loin d’être des idiots. Seulement qu’on soit patient. Mais, que les gens fassent attention. Il y a la jeunesse qui arrive et qui monte. Elle n’acceptera pas les discours. Elle voudra du concret.

Interview réalisée par Philippe Bouélé BATIONO


26/03/2014
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