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LILIOU DANHOURA, L’UN DES DEUX CHEFS DE GUENON: « C’est moi qui possède tous les symboles de la chefferie »

Les 1er et 2 mars derniers, le village de Guénon, dans la commune rurale de Tiébélé, dans le Nahouri, a été un foyer de tension meurtrière entre deux familles qui se disputent la chefferie coutumière. Bilan lourd : 10 morts selon la version officielle, 11 morts selon des habitants du village. La famille Liliou et alliées, principales victimes de ces affrontements, ont été contraintes de quitter le village et aujourd’hui errent à travers le territoire national, la majorité s’étant retrouvée dans la capitale burkinabè. C’est donc à Ouagadougou, au quartier Koulouba, que nous avons rencontré l’autre chef entouré d’une forte délégation dont des enfants et des femmes. Dans l’interview que celui qui se dit chef légitime de Guenon nous a accordée, Liliou Danhoura - c’est son nom à l’état civil- nous raconte l’origine de cette guéguerre et accuse le maire de Tiébélé qui, selon lui, aurait mis le feu à la poudre en voulant introniser un chef au détriment des règles coutumières du village. Assis avec ses fétiches et entouré de nombreux blessés, Liliou Danhoura appelle ses partisans à la retenue et souhaite que l’Administration trouve une solution au problème.

 

Comment avez-vous vécu les événements qui se sont déroulés les 1er et 2 mars derniers à Guenon ?

Ces événements n’ont pas été faciles pour nous, notamment les membres de la famille Liliou et alliées. Nous (ndlr : la famille Liliou et alliées) avons été envahis aux environs de 10 h. J’étais assis devant ma concession et j’ai vu d’abord un attroupement sous un arbre épineux et sous un manguier. Je me suis demandé ce qui pouvait signifier ces attroupements. Sans trop y accorder d’importance, je suis rentré dans la cour pour prendre une douche. Lorsque je suis rentré dans la cour, j’ai vu un autre groupe de personnes. Là, je ne comprenais plus rien. Derrière ma concession où se trouve un lieu où nous pratiquons nos rites, se trouvait aussi un autre attroupement. Je me suis encore demandé ce qui se passait exactement. J’étais avec mon petit frère et il m’a dit qu’il irait voir ce que ces gens faisaient sur les lieux. Dès qu’il s’est approché, ceux qui s’étaient regroupés se sont rués sur lui et l’ont attaqué. Ensuite, ils ont envahi la cour. Pendant ce temps, je m’apprêtais à entrer dans la douche que j’ai dû abandonner. Je me suis réfugié dans la case coutumière (Ndlr : où se trouvent les fétiches). Après, est venu un des auxiliaires de la police de proximité qui sont choisis dans les villages. Il a demandé à appeler le commandant de brigade de la gendarmerie de Tiébélé. Après que je l’ai autorisé à appeler la gendarmerie, je me suis retourné dans la case coutumière. Après cela, j’entendais des coups de pierres, de gourdins, etc. et les cases étaient en feux. Suite à ces troubles, la gendarmerie a réussi à calmer la situation. Je suis reparti dans ma cour pour constater les dégâts. Sur place, il y avait les gendarmes qui étaient aussi en train de faire les constats des dégâts. Et je suis reparti encore une fois dans la case coutumière pour me réfugier.

 

Liliou Danhoura, le chef de Guénon contraint à fuir avec ses partisans

 

Comment avez-vous pu vous échapper à cette scène pour vous retrouver à Ouagadougou ?

C’est le lendemain (ndlr : 2 mars 2012) que j’ai pu m’enfuir jusqu’ici. Je ne puis vous dire comment je me suis sauvé. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est Dieu et les ancêtres qui m’ont sauvé. C’est difficile pour moi de vous expliquer exactement comment j’ai échappé.

 

Au jour d’aujourd’hui, pouvez-vous nous dire exactement qui est le chef de Guenon ?

C’est moi le chef de Guénon. Pourquoi moi ? Je le dis parce que le dernier chef de Guénon est mon grand-père et la succession doit s’opérer dans sa lignée dont nous faisons partie. D’ailleurs, c’est moi qui possède tous les symboles de la chefferie. Voici les différents symboles. Voilà les bonnets des chefs qui se sont succédé. Cela ne date pas de maintenant (il sort tous les symboles d’un sachet noir, tout en précisant qu’il y a d’autres fétiches qui sont restés dans la case coutumière). Si ce n’est moi, personne ne peut les toucher à l’heure où je vous parle. C’est donc moi qui suis le chef de Guénon. J’ai été intronisé comme le 7e chef le 29/02/2012 et c’est le lendemain de mon intronisation que nous avons été attaqués.

 

Comment expliquez-vous donc le fait qu’une autre personne revendique le trône ?

C’est d’abord une question politique, et ensuite de la jalousie. Pour faire l’historique, retenons que c’est en 2006 que les différents notables se sont réunis pour venir voir notre famille. Ils nous ont fait le constat que la coutume était délaissée depuis un certain temps et que cela n’était pas bien pour le village, car les pluies étaient insuffisantes et les récoltes n’étaient plus bonnes. Ils ont souhaité qu’on reprenne les rites coutumiers. C’est ainsi qu’ils ont commencé à entamer les démarches avec l’accord de la famille. Mais, il fallait d’abord organiser les funérailles du dernier chef avant de procéder à l’intronisation. Avant d’arriver jusque-là, les notables, au nombre de 5, à savoir Longobou, Sapombou, Yakouibou, Kountembou, Agoupounabou, ont demandé que la famille désigne une personne pour assurer l’intérim, car dans nos coutumes, même un prince ne peut pas s’autoproclamer chef. Ce sont les notables qui le désignent. C’est ainsi que la famille a porté son choix sur moi pour assurer l’intérim et m’occuper des affaires courantes. Après cela, les notables ont suggéré que nous informions les autorités administratives parce qu’aujourd’hui nous ne pouvons entreprendre quelque chose sans les tenir informés. C’est ainsi qu’en son temps, les notables et moi-même sommes allés voir le maire de Tiébélé pour l’informer que de commun accord, je suis désigné pour assurer l’intérim de la chefferie et que nous sommes en train d’entreprendre les démarches pour désigner un nouveau chef. Je me souviens que ce jour-là, il y avait le maire, son premier adjoint et certaines personnalités. Le maire nous a répondu qu’il ne trouvait aucun inconvénient à ce que nous accomplissions notre coutume. Quelques temps après, il y a eu les élections des Conseils villageois de développement (CVD) et j’ai été élu comme président CVD de Douabié, un quartier de Guenon. Mais, à la dernière minute, comme le maire de Tiébélé n’est pas content de nous parce que nous ne l’avions pas voté le jour de son élection à la mairie, puisque nous avions notre grand-frère qui s’est porté candidat contre lui, il nous a dit que la chefferie de Guenon n’appartient pas à la famille Liliou et que tant que lui vivra, un membre de la famille Liliou ne sera jamais chef de Guenon. Il a même ajouté que tant qu’il sera maire de Tiébélé, Guenon ne se développera jamais et ne s’érigera jamais en commune rurale. Et c’est l’intervention du maire qui a provoqué cette situation, car ni les conseillers des dix-huit villages, ni l’Administration ne peuvent élire un chef. Alors que c’est à cause des signatures des conseillers sur un document frauduleux que l’autre se dit chef.

 

Pourquoi dites-vous que c’est l’intervention du maire qui a provoqué cette situation ?

Après cela donc, il a entrepris des démarches et il est allé voir l’autre famille pour leur dire d’organiser les funérailles dans leur famille et introniser un des leurs comme chef de Guenon. En son temps, nous avions érigé un lieu sacré et cela avait suscité des tensions. Je me rappelle qu’à cette époque, la gendarmerie m’avait interpellé pour savoir comment on désigne un chef à Guenon. Je leur avais donné les détails en leur signifiant que c’était les cinq notables (ci-dessus cités, ndlr) qui procèdent à la désignation et à l’intronisation du chef de Guenon. Pendant ce temps, le maire a vu l’autre famille pour qu’elle organise les funérailles afin d’introniser leur chef. Il leur a suggéré de récolter auprès des dix-huit villages des signatures à raison de deux signatures par village en laissant de côté Douabié, notre quartier. C’est ainsi qu’ils ont pu avoir les signatures de certains conseillers et CVD qu’ils ont porté à la connaissance du chef de Tiébélé. Alors que le chef de Tiébélé ne peut pas introniser un chef à Guenon. Mais, lorsque nous entreprenons quelque chose dans notre village, nous informons tout simplement le chef de Tiébélé. Après cela, j’ai entendu que c’est le maire qui leur a dit d’introniser leur chef. Là, je me suis dit que cela était bizarre. Tout cela ne peut pas s’organiser dans le village sans que nous ne soyons informés. C’est ainsi que je suis allé voir le maire pour en savoir davantage. Lorsque je suis arrivé à la mairie, j’ai vu le 1er adjoint au maire qui m’a fait comprendre que tous les papiers avaient été déjà signés. Après, j’ai rencontré le maire qui m’a dit que tout était organisé à Guenon et que c’est le chef de Tiébélé, Akouahou Bernard, qui a signé l’autorisation pour qu’il organise l’intronisation du chef de Guenon et que ce n’était pas son problème. Automatiquement, je suis allé voir le représentant du chef de Tiébélé qui est aussi intérimaire pour lui demander si réellement c’était lui qui avait signé l’autorisation pour que ceux de Akongba intronise leur chef. Il a nié en me disant que c’était le maire qui lui a envoyé un papier pour le faire signer et qu’il ne savait pas que c’était un papier qui donnait l’autorisation aux Akongba d’introniser un chef. Là, il a fait savoir que s’il s’agissait d’une autorisation, il n’était pas d’accord et qu’il se désengageait dans cette affaire. C’est à partir de là que l’autre famille a organisé ses funérailles. Après cela, ils ont demandé aux notables de procéder à l’intronisation de Louka. Les notables ont refusé car pour eux, la chefferie appartient à la famille Liliou qui détient tous les symboles. De plus, ils ont fait savoir que les funérailles du chef n’ont pas encore été célébrées et par conséquent on ne pouvait pas introniser un nouveau chef. Les funérailles qu’ils ont célébrées étaient celles de celui qui avait été désigné comme collecteur des impôts mais pas un chef. Et c’est comme cela qu’il s’est autoproclamé avec le soutien de deux notables. Maintenant, lorsqu’il s’est rendu compte que nous avions célébré les funérailles du chef au niveau de notre famille, la famille Liliou, pour être précis, et que l’intérimaire que je suis depuis 2006 est désigné pour être intronisé comme nouveau chef, ils sont d’abord venus brûler une case qui contenait une partie des symboles et des fétiches.

 C’est à Ouagadougou que les blessés des affrontements prennent leurs soins

 

En principe, à qui doit revenir la chefferie ?

A Guénon, on ne s’autoproclame pas chef. Ce sont les cinq notables qui désignent le Chef. Pour refaire l’histoire, lorsque notre arrière grand-père est décédé, c’est son petit frère Nabou qui a été désigné par les colons pour continuer de collecter les impôts. Il n’était pas désigné comme chef, c’était un collecteur d’impôts. Après lui, c’est le père de celui qui a été désigné comme chef par l’autre partie qui a été désigné comme collecteur d’impôts. Lui aussi n’était pas chef puisqu’il ne pouvait pas porter le bonnet rouge et autres insignes de chef. Mais, son enfant Louka, celui qui se dit chef aujourd’hui, affirme qu’il devrait hériter de la chefferie. Cela n’est pas juste, ni son grand-père, ni son père n’étaient chef, mais collecteur d’impôts. C’est pour vous dire donc que depuis le décès du dernier chef, notre grand-père, Guenon n’avait pas de chef et c’est moi qui fus désigné en 2006 pour assurer l’intérim.

 

Comment alors sommes-nous arrivés à l’affrontement entre les deux familles ?

C’est le jour qu’ils sont venus chez nous pour faire leur sacrifice. Si tant est que qu’il a été intronisé dans les règles des coutumes et qu’ils détiennent la chefferie, pourquoi viennent-ils devant notre concession pour faire leur sacrifice. Mais un chef fait ses sacrifices chez lui normalement, non ? Comment peut-il quitter chez lui pour venir faire les sacrifices chez l’autre ? C‘est tout simplement parce que les fétiches sont chez nous. Lorsqu’ils sont donc venus, nous avons refusé qu’ils fassent les sacrifices parce que cela n’était pas normal, du moment qu’on ne le reconnaissait pas comme étant le chef. C’est là que les petits frères ont retiré le poulet. En ce moment, il avait déjà fait venir ses milliers de mercenaires en cachette derrière sa concession à notre insu. Ils sont sortis et ont envahis notre cour et par la force et la menace des armes de toutes sortes nous les avons laissé faire leur sacrifice. Ils ont brulé ce jour quelques cases et sur intervention de la gendarmerie, les choses se sont calmées. Lorsqu’on raconte que nous les avons brutalisés, ce n’est pas vrai. C’est à partir de là qu’ils sont revenus nous attaquer le lendemain (ndlr : le 1er mars 2012). C’est évident que l’attaque était préméditée parce qu’il n’est pas possible qu’en l’espace de quelques heures, il puisse mobiliser plus d’un millier de personnes pour nous attaquer. En réalité, c’était le chef même que je suis qu’ils cherchaient à assassiner afin d’entrer en possession des symboles de la chefferie.

 

Combien de personnes ont-elles été tuées lors de ces malheureux évènements ?

Au jour d’aujourd’hui, nous en étions à 11 victimes dont un de la famille Akongba. Ce dernier a été malencontreusement tué car il a été atteint par un coup de machette porté par les siens. Sinon les 10 autres victimes sont tous de la famille Liliou et alliées. Ce sont essentiellement des vieux de 70 à 80 ans et plus. Il n’y a que deux qui étaient jeunes parmi les morts dont un handicapé brulé vif dans son pousse-pousse.

 

Quelle est la situation des déplacés ? Où sont-ils maintenant ?

Nous avons recensé 15 sites d’accueils à Ouagadougou. Ces sites sont essentiellement des familles où sont hébergées ces déplacés. Pour l’heure, ce qui était important pour nous, c’était l’enterrement des corps de nos parents. Effectivement, nous avons été informés que cela a été fait. Mais dans quelles conditions? Nous avons appris comment les choses se sont passées. Pour les déplacés, pour revenir à votre question, nous essayons de les placer dans nos familles respectives à Ouagadougou. Nous estimons, par ailleurs, que c’est l’Administration qui devait s’occuper de tout cela. Il faut aussi préciser que beaucoup sont dans les villages voisins, à savoir à Tiébélé, Zecco, Boungou et au Ghana.

 

Où situez-vous donc les responsabilités ?

Nous estimons que l’Administration n’a pas fait son travail. C’est-à-dire veiller à la sécurité des personnes. Sinon, comment pouvez-vous comprendre qu’on envoie au moins 150 éléments de sécurité pour protéger des gens et que ces personnes soient massacrées sans que la sécurité ne réagisse. Pour nous, l’Administration est responsable. Nous attendons de voir quelles sont les dispositions que l’Administration va prendre. Les autorités ont rencontré l’autre partie et nous attendons aussi qu’elles nous rencontrent comme elles l’ont déclaré.

 

Depuis que les déplacés sont à Ouagadougou, quelles actions l’Administration a-t-elle déjà entreprises pour venir à leur secours ?

C’est le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale qui est venu nous voir le 4 mars dernier pour nous présenter ses condoléances et nous apporter une aide de secours d’urgence. Il nous a donné 500 kg de riz, 500 kg de maïs, 40 litres d’huiles, 40 nattes, 40 couvertures, 40 moustiquaires et 48 savons. Nous allons prioriser les femmes et les enfants dans la répartition.

 

Quelle suite peut-on donner à ces événements ?

Pour l’instant, nous réfléchissons sur la démarche à suivre. A l’interne, nous discutons car ce n’est pas une affaire de précipitation. En attendant, nous avons appris que le procureur était sur les lieux du massacre, donc doit nécessairement mettre en mouvement l’Action publique. Et il est évident que nous allons porter plainte contre l’autre partie, c’est la moindre des choses.

 

A quand le retour pour Guénon?

Une fois que la sécurité sera garantie par l’Administration. N’oubliez pas que toutes nos concessions et leurs contenus, greniers, bétails et même nos jardins ont été complètement détruis par le feu.

 

Une fois de retour, quelles actions de réconciliation allez-vous entreprendre ?

C’est à l’Administration de gérer la situation pour que la paix revienne au village, par la justice qu’elle rendra aux familles décimées d’abord. Sinon, mis à part ces politiciens qui manipulent, le village même n’a pas de problème.

 

Est-ce que dans l’histoire de Guénon, il est arrivé à un chef de fuir le village, comme dans votre cas ?

En cas de force majeure, le chef peut fuir, quitte à revenir faire certains sacrifices.

 

Quels sont ces sacrifices à faire à votre retour ?

Cela reste un secret pour le chef qu’il ne dévoile pas.

 

Avez-vous un appel particulier à lancer ?

C’est dire que nous avons été agressés et c’est inacceptable. Nous pensons que l’Administration prendra les dispositions nécessaires pour que les déplacés puissent retourner dans leur village natal parce que s’ils n’y retournent pas, je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve. Pour le moment, comme l’administration a promis de nous rencontrer, nous attendons. Nous sommes en tout cas sereins car les juridictions qui protègent les faibles feront leur travail. Pour terminer, je voudrais appeler les uns et les autres à la retenue.

 

Interview réalisée par Yaya Issouf MIDJA et Maurice BELEMNABA



12/03/2012
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