TENSION ENTRE ORPAILLEURS ET SOMIKA A BOUROUM, DANS LE NAMENTENGA Des femmes emprisonnées sur les sites, 5 hommes cloués par le procureur à Kaya
C’est un truisme de dire que le Burkina connaît, ces dernières années un boom minier. Conséquences : il s’est développé, un peu partout dans le pays, des sociétés minières, qui emploient plusieurs milliers de personnes et génèrent des centaines de milliards de francs CFA au profit de l’économie nationale. A côté de ces sociétés minières subsiste l’exploitation artisanale, qui elle, est très souvent confrontée à de nombreux problèmes, notamment les conflits entre orpailleurs et personnes détentrices de permis d’exploitation sont très fréquents ; toute chose qui engendre, le plus souvent, de violentes manifestations. Alors que les seconds reprochent aux premiers d’être partisans du désordre, ces derniers, eux, soutiennent mordicus qu’ils font l’objet de spoliation de leurs biens. C’est cette situation qui prévaut actuellement dans la commune rurale de Bouroum, dans la province du Namentenga, où l’activité minière est également développée.
Nous y avons séjourné, du 14 au 16 septembre 2012, pour prendre le pouls de la tension entre les orpailleurs de ladite localité et le représentant de la Société minière Kindo Adama (SOMIKA), Ousmane Dicko. Le moins que l’on puisse dire est que les deux acteurs se regardent en chiens de faïence. La preuve est que depuis le 19 septembre dernier, 5 orpailleurs membres du Syndicat des orpailleurs et exploitants artisanaux et traditionnels de l’or de Bouroum à qui, la SOMIKA reproche d’avoir empêché la mise en place d’un comptoir d’achat de l’or dans le village de Yéou, séjournent à la Maison d’arrêt et de correction de Kaya.
Décidément, Ousmane Dicko, le représentant local de la Société minière Kindo Adama (SOMIKA) n’a pas bonne presse au sein des milliers d’orpailleurs de Bouroum, commune rurale située dans la province du Namentenga, à 200 km au Nord de la capitale Ouagadougou. Que ce soit à Bissigo, Tanpèlga, Damkarko 1 et 2 ou encore à Yéou, villages de la commune qui abritent des sites d’orpaillage, les récriminations sont les mêmes. Si certaines datent de deux ou trois ans, d’autres, au contraire, sont plus récentes. Jean Pascal Sawadogo, secrétaire général du Syndicat des orpailleurs et exploitants artisanaux et traditionnels de Bouroum, était visiblement très remonté contre ce qu’il qualifie de « pillage » de leurs biens, le 22 avril 2012, par Ousmane Dicko appuyé par quelques éléments de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS).
Arrêté sous un épineux avec une dizaine de jeunes qui disent avoir été spoliés de leur sacs de minerais et de leur matériel de travail par le représentant local de la SOMIKA, Jean-Pascal Sawadogo a indiqué que le terrain vide, sur lequel nous nous trouvions, sur le site de Bissigo, abritait il y a peu, plus d’un millier de personnes qui gagnaient leurs pitances quotidiennes à travers les activités d’orpaillage qui s’y menaient.
« Le 22 avril 2012, à 8h30, le représentant de la SOMIKA est arrivé avec une cinquantaine de policiers, nous intimant de quitter le site pour l’établissement d’un comptoir. Ils ont donné une quarantaine de minutes aux gens pour déguerpir le marché alors que celui-ci était bondé de monde. Cela était impossible. Le représentant savait bien que le déguerpissement ne pouvait pas se faire en quarante minutes. En effet, les gens étaient installés sur le site depuis quatre mois. Mais quelques minutes après, pendant que les gens rassemblaient leur matériel, ils sont revenus dire de ne rien faire sortir du site. Ils ont tout pris : des sacs de minerai et le matériel de travail des pauvres orpailleurs », a-t-il expliqué en guise de genèse du différend. Depuis lors, les orpailleurs, a confié Jean-Pascal Sawadogo, ont tenté en vain de rentrer en possession de leurs sacs de minerais sans succès ; toute chose qu’ils avouent ne pas comprendre jusque-là. « Quand le site était géré par la SOMITA, ce n’était pas comme ça», s’est plaint un orpailleur avec une voix mêlée de colère et de regret.
Pour le maire de la commune de Bouroum, Yoro Signam, selon le protocole de convention signé entre la Société minière de Tarpako (SOMITA) et la SOMIKA, le 4 mai 2012, cette dernière était en droit d’user de son droit de jouissance du site de Bissigo. Seulement, a-t-il regretté, le déguerpissement n’a pas été bien fait. En effet, il a confié, qu’il a été lui même “informé verbalement, toute chose qui, sur le plan administratif, n’a aucune valeur “. « Il y a eu un manque de communication de la part de la SOMIKA qui n’a pas prévenu à l’avance les orpailleurs du jour qu’ils venaient“, a laissé entendre l’édile de Bouroum. Toute chose, a-t-il poursuivi, qui explique l’indignation des orpailleurs qui soutiennent également n’avoir pas eu l’information selon laquelle la SOMIKA détenait désormais le permis d’exploitation du site de Bissigo, précédemment détenu par la SOMITA, et qu’elle venait l’occuper le 22 avril.
« Je soutiens jusqu’à demain que le déguerpissement sur le site d’or de Bissigo a été fait à la volée. Il y a eu un déficit de communication. De plus, la mairie ne recevait pas à temps les permis d’exploitation délivrés par le ministère des Mines, des Carrières et de l’Energie. Toute chose que j’ai dénoncée lors d’une rencontre que nous avons eue avec les responsables de la SOMIKA et quelques responsables politiques de la province », a déploré Yoro Signan.
« Nous ne refusons pas le comptoir »
Dans la plupart des cas, il est reproché aux orpailleurs de ne pas vouloir la mise en place des comptoirs où s’achète et se vend l’or.
Un reproche que les orpailleurs ont récusé sans tergiverser. Seulement, se défendent-ils, « il ne faut pas que le comptoir soit une occasion d’expropriation et d’exploitation des orpailleurs » comme cela a été le cas récemment.
Aussi le secrétaire général du Syndicat des orpailleurs et exploitants artisanaux et traditionnels a-t-il soutenu : « Les gens de Bouroum connaissent la mise en place des comptoirs depuis plus de 20 ans. C’est ce que nous avons voulu faire comprendre à Dicko. Nous refusons que le comptoir soit une occasion pour exploiter les pauvres artisans. C’est ce que nous avons fait aussi comprendre aux responsables de la société Burkina or et métal lorsque, sur le site de Kayara, ils ont voulu acheter le gramme d’or à 20 000 francs CFA alors que le prix juste était de 27 000 francs CFA. Il faudrait, aujourd’hui, que les sociétés minières sachent que nous avons le droit de poser des revendications, car c’est nous qui abattons le gros du boulot. Tenez, les orpailleurs mettent beaucoup d’argent dans les trous. Pendant ce temps, la société n’investit pas un seul sou pour que nous travaillions. C’est cela la réalité. Nous sommes à une étape, aujourd’hui, où il faudrait que les sociétés minières comprennent qu’elles ne sont rien sans nous. Pour le cas précis de la SOMIKA, nous n’avons rien contre la société. Nous estimons que celui qui est à la tête de l’entreprise à Bouroum, c’est-à-dire Ousmane Dicko ne fait pas notre affaire. La preuve est qu’il a ramassé le minerai pour le traiter avec du cyanure. »
Pour ce qui concerne le sort réservé au minerai confisqué, Idrissa Dianda est plus que formel : « Pendant que Ousmane Dicko interdit l’utilisation du cyanure dans l’exploitation de l’or, lui-même est le premier à le faire. Et c’est avec le minerai confisqué qu’il a fait cela. Pendant longtemps, nous ne savions pas ce que c’était que le cyanure. Nous travaillions seulement le minerai à plusieurs reprises, surtout en période de soudure, pour en extraire quelques pépites d’or. » Selon une source très proche de la SOMIKA, la proposition a été faite par le président-directeur général de la société d’extraire l’or du minerai confisqué pour le revendre. L’argent provenant du minerai, selon la source, serait reversé à la mairie pour le financement de son plan de développement communal. Cependant, les orpailleurs disent être convaincus que l’argent a été utilisé à des fins personnelles, par Ousmane Dicko. Ils soutiennent d’ailleurs, tout comme le maire de Bouroum, Yoro Signam, que si le représentant local de la Société minière Adama Kindo (SOMIKA), Ousmane Dicko, agit ainsi, défiant toutes les lois, c’est parce qu’il a l’onction du député Oumarou Bonkoungou qui fait la pluie et le beau temps à Bouroum et ses environs.
Des femmes prisonnières sur les sites miniers
Au nombre des récriminations faites à Ousmane Dicko et à ses ouailles, figure en bonne place, le mauvais traitement infligé par ses vigiles aux orpailleurs et à certaines femmes. Parmi celles-ci, on compte Rasmata Ouédraogo qui raconte son calvaire d’une nuit : « Il y a deux ans, sur le site d’Akongo, je suis allée donner à manger à des enfants. Quand je suis arrivée, on m’a fait savoir qu’ils étaient dans un trou. Après les avoir servis à manger, j’ai voulu attendre qu’ils finissent pour repartir avec les assiettes une bonne fois. Pendant l’attente, je suis allée me coucher avec mon bébé à côté d’une maison. Entre temps, un vigile du nom de Rasmané est venu me tirer le pied. Il m’a ordonné de ramasser mes affaires. Quand je me suis levée, j’ai vu que les vigiles avaient fait asseoir sept autres femmes. Ils nous ont conduites jusqu’au comptoir pour nous enfermer dans une pièce. Entre temps, mon enfant pleurait. J’ai demandé la permission de lui donner à téter. Les vigiles ont refusé au motif que je devais rester chez moi. Au petit matin, ils ont exigé qu’on paye chacune 2 500 francs CFA avant d’être libérées. Nos époux étaient obligés de payer la somme demandée.» Fort heureusement, l’abus sexuel dont ont fait cas les orpailleurs de la part des vigiles a été battu en brèche par notre confidente : « Mais en toute sincérité, les vigiles n’ont pas eu de relations sexuelles avec nous ».
Sur les sites d’exploitation artisanale de l’or, les problèmes entre les orpailleurs et les sociétés sont légion
Des trous au palais de Kaya
Les derniers rebondissements de l’affaire qui oppose les orpailleurs à la SOMIKA a été le feuilleton judiciaire. Depuis le 17 septembre 2012, une plainte a été déposée contre huit orpailleur et membres syndicaux pour subversion sur des sites d’or. Convoquée le 19 septembre 2012 devant le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Kaya, cinq d’entre eux ont été mis sous les verrous.
Rasmané Boly, président du Syndicat des orpailleurs et exploitants artisanaux et traditionnels de Bouroum, après l’audition a confié ceci : « Bondoqué Pafadnam, Machilo Diandé, Karim Sawadogo, Alain Pafadnam, Madi Baroa ont tous été enfermés, suite à l’audition du procureur du Faso, à Kaya. Avant de nous présenter, nous ne savions pas l’ordre du jour. Mais une fois à l’intérieur, il nous a été signifié que nous avons instrumentalisé des jeunes pour saboter la mise en place d’un comptoir avec les chefs coutumiers. Chose que nous n’avons pas admise. Parmi les personnes arrêtées, certaines n’étaient même pas sur les lieux. Pour nous, cela n’est ni plus ni moins que la force. »
Selon les dernières informations, le syndicat des orpailleurs et exploitants traditionnels et artisanaux de Bouroum aurait pris un avocat pour défendre les cinq personnes écrouées.
Nos nombreuses tentatives en vue de rencontrer le principal mis en cause dans cette affaire, à savoir le représentant local de la SOMIKA, Ousmane Dicko, d’abord à Yéou (à 45 km de Bouroum), à Bouroum, puis à Ouagadougou, et les nombreux appels téléphoniques n’ont pas été fructueux.
Quand les orpailleurs défient la saison pluvieuse
Sur le site de Tanpèlga, à quelques 7 kilomètres de Bouroum, des orpailleurs bravaient la saison pluvieuse pour descendre dans les trous à la recherche du précieux métal jaune. Sont-ils informés de la mesure de cessation de l’exploitation artisanale pendant la saison des pluies ? Peut-être que oui, peut-être que non ! Mais pour sûr, ils savent très bien qu’ils risquent leur vie, d’autant plus que nombreux sont ceux de leurs camarades y ont perdu la vie. Interrogé, un orpailleur, sorti du trou en quelques secondes, tout pâle, n’a pu répondre à notre question. Il est sorti stoïque, nous regardant d’un air étrange. Pour taquiner l’un d’eux, nous lui avons demandé si descendre à 40 m sous le sol était dur et ce qu’ils prennent pour pouvoir résister. Il a souri et a répondu que lui ne prenait rien. Un peu comme pour l’agacer, nous avons rétorqué : « et les fameux “missiles “, ces amphétamines qui donnent le courage ? ».
Les sites d’orpaillage sont un autre monde. Un endroit où quand on voit la galère humaine, on n’a plus envie de dépenser ne serait-ce qu’un centime provenant de l’or.
Par RHO et PBB
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